mercredi 24 août 2011

Discours à l'association pétrolière et gazière du Québec - 25 octobre 2010


Bonjour,

Votre président, André Caillé, m’a invité ce midi pour vous parler de ce que l’on nomme au Québec, le débat sur les « gaz de schiste ». Je le remercie d’avoir pensé à moi. Je vous remercie aussi à l’avance pour l’intérêt que vous porterez à mon propos.

André est réputé ici et à travers le monde comme un être compétent, intelligent, comme un grand spécialiste de l’industrie de l’énergie. Ancien sous-ministre au ministère de l’Environnement, l’ex-président de Gaz Métro et d’Hydro Québec n’a rien du technocrate froid et sans âme. Les Québécois l’ont bien vu ces dernières semaines. L’homme au col roulé blanc a du cran. Il n’a pas froid aux yeux. En m’invitant à cette tribune, je reconnais aussi son audace. Dans la tempête, il offre à un ancien ministre de l’Environnement du gouvernement du Québec l’occasion de vous parler directement.

Pour ceux qui me connaissent peu ou pas, vous avez aussi devant vous l’ancien chef du Parti Québécois, qui aux élections de 2007, a subi un important revers en ne faisant élire que 36 députés sur 125.

En préparant ce discours, une question m’est donc venue immédiatement à l’esprit. André m’a-t-il invité pour que je vous présente l’opinion de l’ex-ministre de l’Environnement sur la crise que vous traversez ou, si en m’invitant ce midi, il souhaitait que je vous instruise sur les causes de mon insuccès, question de tirer ensemble des enseignements pertinents pour vous aussi.

Vous comprenez qu’en homme prudent, j’ai pris quelques minutes pour réfléchir à la question… Je vous fais une confidence au passage, au sujet de la politique, j’ai appris une chose, ce n’est pas tout d’avoir raison, encore faut-il que le fruit soit mûr. Parlez-en à ceux qui, en 2007, ont fait avec moi le débat sur les accommodements raisonnables…

Mais bon, en y pensant bien, peut être est-ce l’amour profond que je porte au Québec et le fais que je ne cesse de visiter ses régions avec plaisir et d’apprécier ceux qui l’habitent, ou encore que j’ai servi mes concitoyens pendant plus de quinze ans à titre de député, de ministre puis de chef de parti, et sans doute aussi la synthèse des expériences politiques qui ont marqué ma vie qui l’ont motivé à me demander de prendre la parole devant vous aujourd’hui.
Dans tous les cas, me voici donc. Mon propos ce midi se veut rassurant, mais il contient aussi d’importantes mises en garde qui s’adressent à vous en particulier.

Je n’ai aucun intérêt personnel dans le débat en cours. Je ne suis pas un spécialiste de l’industrie. Je suis un observateur neutre et informé qui a à cœur le développement intelligent du Québec et de ses régions.

Selon moi :

·      Premièrement, le débat sur les gaz de schiste ne s’en va nulle part, et vous ne faites pas face qu’à une poignée d’irréductibles.
·      Deuxièmement, si nous n’apprenons pas à nous faire confiance, les citoyens, les municipalités, le gouvernement et l’industrie, nous nous dirigerons directement dans un cul-de-sac.
·      And finally, we need to get out of the blame game, and you have all the skills to make it happen.

Last Saturday, I had the privilege to have dinner with someone you all know, Michael Binnion Questerre’s CEO, and his lovely wife Maria. With all his talent, Michael made a fantastic plea in favor of the exploitation of shale gas. He explained to me that he is not only personally involved in the debate but that he is, first and foremost committed to the sustainable development of the industry in Québec. I was impressed.

By the way, Michael, using his Albertan’s sense of humor, and probably to show me how committed he is, asked me if I knew the difference between being involved and being committed.

In a bacon and egg breakfast, he added, the chicken is involved but the pig is committed!

Don’t be worry, I rapidly reassured Michael. I, nor anyone I know, want him to end up in our plate. We might be a nation, we might be distinct, but there are no cannibals in Quebec!

To Michael and his colleagues from Calgary, I want to say loud and clear: we need your talent, and expertise. They are essential to the success of our young industry in Québec. Ce que je recherche toutefois, c’est la naissance ou la consolidation d’entreprises québécoises, bien de chez nous. Voilà pourquoi je prends la parole dans ce débat.

Pour moi, le développement de votre industrie est pertinent, il est requis et je souhaite qu’il se réalise. Pourquoi? Parce que

·      Nous avons l’occasion unique de rapatrier chez nous, au Québec, plus de 2 milliards de dollars que nous envoyons chaque année dans l’Ouest canadien pour acheter du gaz naturel.

·      J’ai la conviction que les Québécois sont capables de gérer intelligemment les risques bien réels associés à l’exploitation de la ressource.

·      Et finalement, je devrais dire, accessoirement, le débat sur les gaz de schiste ayant une portée qui dépasse de loin les frontières du Québec, je ne voudrais en rien être perçu comme un de ceux qui contribuent au renforcement du lobby américain du charbon férocement opposé au développement des gaz de schiste.

Pour arriver là, vous devez toutefois aller chercher la confiance des Québécois. Et selon moi, le fardeau de la preuve vous appartient.

Les Québécois sont furieux d’être placés devant les faits accomplis. Ils ont le droit de savoir, de s’exprimer, de comprendre. Ils ont droit à leur qualité de vie, à la sécurité. Ils sont attachés à la qualité de leur environnement et vont le protéger avec vigueur. Ce qu’ils demandent c’est la possibilité d’engager une vraie discussion avec vous. Et pour moi une vraie discussion, c’est plus qu’un débat d’un soir. Vous avez la responsabilité de répondre à ces questions et faisant appel à des spécialistes neutres et respectés qui pourront corroborer vos opinions et qui contribueront ainsi à distinguer les mythes de la réalité.

Je sais que vous pensez pour la plupart détenir les réponses à ces préoccupations. Mais votre opinion est intéressée; elle n’est pas neutre. Les images venant de Pennsylvanie ont marqué l’imaginaire. L’étude récente de l’Université de Toronto au sujet de la protection des eaux souterraines soulève aussi d’importantes questions que vous ne pouvez ignorer.

Oui je sais :

·      Vous prévoyez utiliser moins d’eau que les lave-autos en consomment chaque année au Québec.

·       Vous n’utiliserez guère plus de 2 % des volumes utilisés par l’industrie des pâtes et papiers.

Mais fournir la réponse sans que les Québécois contribuent à la réflexion demeure un exercice incomplet. D’ailleurs le ministère de l’Environnement de l’État de New York ne vient-il pas de conduire ses propres études? En passant, sa conclusion : la fracturation hydraulique ne pose pas de risques importants pour la nappe phréatique.

Le cafouillage récent sur les retombées de création d’emploi est un autre exemple qui rend les Québécois suspicieux. Nous savons tous que ces retombées dépendront du nombre de puits, de leur rendement et surtout de la capacité de développer un savoir-faire québécois. Un savoir-faire qui, je l’espère, participera au développement de l’industrie en créant de véritables emplois de qualité chez nous. Cela est particulièrement vrai pour les firmes de forage sans lesquelles l’industrie ne démarrera pas. Soyez transparents! Tant que vous ne connaitrez pas l’ensemble des paramètres associés à l’exploitation de la ressource, prédire le montant des retombées économiques relève du miracle.

Il en va de même pour une série d’autres questions fort légitimes soulevées par les Québécois. Qu’en est-il, pour ceux qui vivent près des puits, de la valeur de leur maison, du coût de leurs assurances? De façon plus globale quel est l’impact de l’industrie sur le bilan québécois des émissions de gaz à effet de serre? Désignez avec eux des spécialistes afin de répondre à ces questions. Les réponses ne seront plus que les vôtres, elles seront aussi celles de l’ensemble de vos parties prenantes.

Voilà pourquoi je propose que votre association se dote d’un comité aviseur formé de gens de renom et indépendant de l’industrie.

Ce comité aurait comme premier mandat de diriger une série de chantiers pour répondre aux questions qui n’auront pas été examinées par le BAPE et qui pourtant sont au cœur des préoccupations des Québécois. J’en ai déjà évoqué quelques-unes, mais l’essentiel consiste à regarder du point de vue du citoyen quelles sont les questions les plus importantes et de travailler, avec eux, à y répondre.

Ce comité devrait aussi vous faire des recommandations afin que l’activité économique que vous allez générer s’intègre le mieux possible au tissu économique québécois. Le soutien à la création d’un réseau québécois de sous-traitants, la formation de la main-d'œuvre, l’achat local sont des exemples de sujets pertinents.

Il pourra vous conseiller sur des ententes-cadres qu’il m’apparaît important de définir avec les municipalités et le monde agricole.

Il lui serait également possible de veiller à la mise en vigueur des meilleures pratiques de l’industrie en conduisant des audits de conformité auprès des membres de l’Association actifs sur le territoire québécois.

Sur cette question, soyons clairs : l’objectif n’est pas de prendre la responsabilité de l’État et d’en faire la vôtre, mais bien de faire en sorte qu’année après année, les techniques utilisées par votre industrie soient à la fine pointe de la technologie et qu’elles contribuent ainsi à diminuer les nuisances associées à l’exploitation des gaz de schiste.

Finalement, ce comité devrait publier annuellement, au bénéfice des Québécois, le bilan de l’industrie des points de vue environnemental, économique et social. Ce faisant, il pourrait vous recommander des cibles visant à gérer de la façon la plus efficace possible votre empreinte environnementale.

Une fois les consultations du BAPE terminées, une fois la loi et les règlements adoptés, il faudra un forum de reddition de compte transparent et indépendant. Ce forum pourrait très bien être le comité auquel je fais référence.

Ce qui m’amène à vous parler du BAPE.

Plusieurs ont remis en cause sa pertinence, sa compétence et sa crédibilité. Je trouve cela déplorable. Comme ministre de l’Environnement, j’ai bien évidemment eu la chance d’apprécier le travail de cette institution. Depuis plus de 30 ans, le BAPE a été au cœur des grands projets et des grands enjeux qui ont permis de développer le Québec. Remettre en cause sa crédibilité, c’est remettre en question la manière dont on fait du développement au Québec. Les commissaires sont compétents, dévoués et ont toujours mis leur expertise et leurs expériences au service de la nation québécoise. Ils sont indépendants et ont l’obligation de traiter toute tentative d’ingérence comme étant irrecevable et inadmissible, et disons-le, cela inclut l’ingérence gouvernementale.

Le BAPE a parfois déçu ou surpris des ministres ou des environnementalistes, c’est dans la nature des choses. Un fait demeure, c’est que le BAPE a toujours bien servi les Québécois. Faites confiance aux gens en place. S’ils ont besoin de plus de temps pour travailler, je sais qu’ils n’hésiteront pas un instant à le demander. Pour reprendre en substance les propos de Michel Yergeau, vice-président du BAPE de 1979 à 1984, que le Devoir publiait récemment : le BAPE n’est pas servile, laissons les travailler !

Il m’importe aussi aujourd’hui de dissiper une impression qui semble s’être installée dans l’imaginaire québécois. Non, les basses terres du St-Laurent ne sont pas un nouveau Far West. Et non, vous ne vous comportez pas comme s’il y avait une urgence pour vous de développer le marché québécois.

Vous avez dans les faits le temps de reprendre le débat et de le transformer en discussion civilisée. Les Québécois comprennent qu’ils ne sont pas le nombril de l’Amérique du Nord, et qu’il y a des gouvernements et des entreprises qui ailleurs sur le continent, ont déjà placé leurs billes dans le marché. Nous avons donc chez nous l’obligation d’agir de façon stratégique. Pour cette raison, je me suis toujours opposé à l’idée d’un moratoire imposé par loi par le gouvernement du Québec.

Mais de quoi sera fait l’avenir? Pour reprendre le vocabulaire des amateurs de sports, j’imagine un match en trois périodes. Nous venons de terminer la première, et disons-le franchement, du point de vue des perceptions vous sortez de l’exercice passablement « amochés ».

Qui plus est, votre division souffre : les cours du gaz naturel sont bas, c’est un fait. Vous alléguez que la machinerie se trouve pour l’essentiel au sud de la frontière, qu’il manque de main-d’œuvre. Et plus important encore, faute de masse critique, vous indiquez que les coûts d’exploration sont très élevés et donc que vous êtes loin des seuils de rentabilité. Pas très réjouissant comme portrait.

Devant tous ces aveux, les Québécois ne comprendraient donc pas que vous ne profitiez pas de l’entracte pour revoir votre stratégie. On voit bien d’ailleurs que vous êtes entrés dans cette phase de réflexion…

La deuxième période débutera par la reprise des travaux du BAPE et du dépôt de vos mémoires. Cela offre à l’industrie la possibilité de se présenter devant le BAPE de façon ordonnée et de dire aux Québécois que vous les avez clairement entendus. Prouvez aux Québécois que vous êtes des développeurs consciencieux, que vous avez à cœur leurs intérêts. Que vous êtes ici pour explorer avec eux, de nouvelles façons de faire prospérer le Québec.

Si votre jeune association est là pour demeurer, elle doit démontrer son professionnalisme, exercer un leadership clair et ainsi faire la preuve aux Québécois qu’elle fait du développement durable sa priorité. Vous aurez sans doute aussi à réfléchir sur votre gouvernance. Votre association regroupe des entreprises de toutes tailles. Comprenez-moi bien, ce que je vous propose aujourd’hui ce n’est pas de vous rallier au plus bas commun dénominateur, mais de faire la promotion des meilleures pratiques de l’industrie.

En aparté, je me risque aussi à affirmer que les accusations de copinage entre l’industrie et le gouvernement ont eu un impact indéniable dans l’opinion publique. Même si ces accusations sont sans fondement, en politique seule la perception compte.

La troisième période débutera avec votre réaction au rapport du BAPE et le dépôt, début 2012, du projet de loi et, je l’espère au même moment, des règlements qui l’accompagneront). Une commission parlementaire étudiera un projet de loi. Cette commission devrait tenir des consultations publiques, et connaissant bien le fonctionnement de l’Assemblée nationale, la loi ne devrait être pas être adoptée avant la fin de 2011…

Je sais qu’au Québec le mot urgence n’est pas toujours synonyme de rapidité. Peut-être est-ce cela qui explique la dérive de vocabulaire. Mais honnêtement, je ne vois pas pourquoi certains vous accusent de vouloir aller vite. Si j’ai bien compris, vous n’avez fait que 10 forages en 2010. Pendant ce temps, il y en a eu 8 000 en Alberta!

Je redoute finalement une nouvelle difficulté. Un éventuel débat sur la nationalisation. Ce débat j’ai dû l’affronter comme chef de parti dans le dossier de la production éolienne. Des militants de ma formation politique proposaient la nationalisation de la ressource vent. Je m’y suis opposé sans hésitation pour des raisons qui me semblent évidentes et sur lesquelles je serai heureux de revenir dans un autre contexte.

Toutefois, si vous lisez les mêmes journaux que moi, la question de la nationalisation circule toujours. C’est même le nouveau ministre de l’Environnement qui a récemment ouvert la porte au débat dans une entrevue qu’il accordait à Radio-Canada en août dernier. Renaud Lapierre, un homme fort respectable, ex-sous-ministre de l'Énergie et ex-membre de la Société québécoise d'initiative pétrolière (SOQUIP) l’a aussi soulevée. Hélène Baril du quotidien La Presse écrivait récemment et je cite : « plusieurs des intervenants dans ce débat qui secoue le Québec estiment que la nationalisation est la seule façon d'assurer une exploitation responsable de la ressource, et d'en tirer le maximum de profit pour la collectivité. »

Quant à moi, je suis convaincu. Nous n’avons, aujourd’hui, ni les moyens ni l’expertise pour assumer cette responsabilité.

Ce qui ne doit pas empêcher, là aussi, les Québécois et leur gouvernement d’agir de façon stratégique.

La population a envoyé un message clair à son gouvernement. « Le système de redevances actuelles ne nous en donne pas pour notre argent », disent-ils. Ils ajoutent, « si en plus de constituer une menace pour notre environnement, le gouvernement « donne » la ressource, eh bien non merci, vivement le moratoire ». Séduisant n’est-ce pas? Simple un peu toutefois. On sait chez nous comment construire des barrages, c’est clair. Mais cette expertise est de peu d’utilité lorsque vient le temps d’extraire de façon profitable du gaz de notre sous-sol.

Sans connaître la richesse de la ressource, il est bien trop tôt pour proposer un modèle idéal. Mais ma formation en administration publique me laisse penser que le gouvernement aurait tout intérêt à mettre les permis d’exploitation aux enchères. Ces permis au fur et à mesure qu’ils arrivent à échéance pourraient être ainsi négociés et octroyés au plus offrant.

Il m’apparaît aussi évident que nous avons les outils au Québec pour prendre des positions minoritaires dans le capital action des compagnies gazières. La Caisse de dépôt n’a-t-elle d’ailleurs pas laissé entendre récemment qu’elle souhaitait investir davantage dans le secteur des ressources?

Sur toutes ces questions, une forme d’improvisation semble régner. Il est urgent que le gouvernement du Québec y mette fin. Le prochain budget du ministre des Finances pourrait être une belle occasion de fournir les réponses attendues.

Mon propos aujourd’hui ne vise qu’une chose : explorer de nouvelles avenues. J’ai tenté – bien humblement et surtout bien trop rapidement, il faut le reconnaître - de contribuer à définir le chemin qui vous mènera vers ce nécessaire équilibre entre intérêts économiques, sociaux et environnementaux des Québécois. L’expression « développement durable » se glisse très bien dans un discours. C’est tendance. Mais comment ça se passe dans les faits? Comment allez-vous intégrer cela dans votre modèle d’affaires? Comment, au-delà de la question de la protection de notre environnement, allez-vous faire participer les Québécois au développement de votre industrie? Comment allez-vous discuter avec eux? C’est à cela que vous devez réfléchir.

Une fois fait, il vous faudra respecter le plan de match. Et selon moi, ce plan si vous m’avez bien compris doit être élaboré avec les gens des régions où vous irez vous installer. Je suis persuadé que vous êtes conscients de l’importance déterminante de toutes ces questions dans l’issue du débat. Démontrez-le. Ne soyez pas pressés. Prenez le temps de discuter et d’écouter. Vous allez vite vous rendre compte que les Québécois savent faire la part des choses et que leur grande intelligence collective les mène à saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent. Faire confiance à la population demeure toujours la meilleure alternative, car sans son appui rien n’est jamais possible.


Je vous remercie de votre attention.